Si, depuis cinq ans, vous n’avez pas adopté – ou tenté d’adopter – une stratégie « customer centric », c’est que vous souhaitez probablement couler votre entreprise ou que vous êtes complètement hermétique aux tendances actuelles… Dans les deux cas, le jeu est plutôt dangereux.
Maintenant que la provocation et les buzzwords sont placés, observons cela de plus près…
Contrairement au changement du nom de la salle de réunion, une entreprise ne devient pas « Client Centric » un beau matin sur un coup de tête, comme le pensent encore certains dirigeants. Cela demande du temps, de l’énergie et évidemment beaucoup de moyens pour aligner l’ensemble des services, hommes et systèmes d’information sur un seul objectif commun et transverse : le client final, exit les objectifs opérationnels pensés en silo. Tout un programme ! Chaque entreprise ayant souhaité mettre en place cette nouvelle organisation s’en est rendu compte et les échecs sont malheureusement encore nombreux ; la faute bien souvent, à un manque de coordination entre les services et les hommes. Même si le business time est aujourd’hui extrêmement rapide, l’homme, lui, n’avance pas toujours à la même vitesse ; il faut sans cesse le garder à l’esprit.
Dans notre cher secteur du retail de luxe, avoir une pensée « Client Centric » nécessite obligatoirement d’adopter une pensée « Advisor Centric first ». Loin de moi l’idée de décrier le modèle « Client Centric » global, car je suis le premier à le défendre au sein des organisations. Cependant, dans le cadre spécifique de la boutique de luxe, une adaptation doit être opérée. Etant donné qu’une grande partie de l’expérience client passe encore par l’intermédiaire du vendeur, c’est donc à lui qu’il faut penser en priorité, avant même le client final. En effet, il représente la maison aux yeux de la clientèle et réalise de façon unique et instantanée l’amalgame du travail de centaines de personnes qui ont œuvré derrière lui. Il devient ainsi le centralisateur de milliers d’actions qui lui permettent – en théorie – de délivrer la meilleure expérience client possible. Toute difficulté rencontrée par le vendeur mettra en péril la qualité de cette démarche de client centricity. J’insiste sur l’usage de l’expression « en théorie », car cela insinue que le vendeur s’engage personnellement à offrir la meilleure expérience possible ; ce qui n’est pas toujours le cas, nous y reviendrons un peu plus bas.
Ainsi, nous devons œuvrer collectivement pour lui faciliter la vie, lui rendre l’accès à l’information la plus rapide et simple possible, lui mettre à disposition des contenus à haute valeur afin qu’il les partage avec les clients… Cette disposition n’est pas chose aisée, bien entendu. Cela passe par une grande étape de compréhension des habitudes des vendeurs, de l’étude des sellings ceremonies et des contraintes (assumées ou non par les maisons) que subissent les conseillers de vente au quotidien.
Ainsi, si la boutique ne dispose pas d’un réseau wifi suffisamment puissant sur l’ensemble du floor ou d’un écran fonctionnant de façon aléatoire, il ne faut pas espérer des miracles… Ce que je constate, c’est qu’encore trop souvent, les projets sont lancés sans prendre réellement en compte les contraintes réelles de l’utilisateur final. Lorsqu’une marque lance un chantier, de digital retail notamment, la posture qui consiste à ne pas vouloir/oser demander au personnel en boutique ce qu’ils en pensent de façon honnête est destructrice de valeur.
Quelques niveaux de vision « Advisor Centric ».
Cette démarche « Advisor Centric » peut être applicable à différents degrés et s’étend du quick-win à la transformation de certains outils par exemple ; tout dépendra de la profondeur que souhaite lui donner la maison. Cependant, il ne faut jamais oublier le spectre du client qui plane derrière cela. Ne s’arrêter qu’à la première étape serait une erreur car cela ne corrigerait pas des problèmes de fond qui polluent la relation client au quotidien. Prenons pour cela trois exemples de différents degrés, basés sur des faits véridiques observés en boutiques :
- Quick-win : un client demande la référence et le prix d’une montre ; la vendeur ne disposant d’aucun support, lui griffonne une référence indéchiffrable au dos d’une carte de visite, de façon très peu qualitative. Le vendeur est un peu gêné de donner cela au client mais il semble ne disposer d’aucun autre support ni outil. Prendre les coordonnées du client, les enregistrer dans le CRM et lui pousser une fiche produit digitale – qui existe forcément sur le site web – ne serait-il pas plus élégant ?
- Transformation des outils : le catalogue produit est « digitalisé » mais le vendeur doit en réalité utiliser la fonction recherche du reader car il s’agit en réalité de la version pdf d’un catalogue papier. Le conseiller de vente, ne connaissant pas la référence du produit, se voit obliger de demander l’aide à son collègue. Apporter un réel outil digital semble aujourd’hui indispensable pour assurer la fluidité de la selling ceremony
- Transformation data : Un client dépose une pièce destinée à être envoyée au service après-vente. Puisque la base clients CRM ne se déverse pas dans l’outil SAV, le vendeur doit lui demander à nouveau ses informations personnelles, rechercher la référence du produit à envoyer dans un autre système, prendre des photos de la pièce, les importer dans l’outil… Résultat : le client doit attendre 15/20 min pour uniquement déposer un produit en SAV, ce qui génère forcément de l’agacement côté client et met le vendeur mal à l’aise. Refondre les bases de données et assurer une parfaite communication entre les systèmes d’information contribue à faciliter la vie des vendeurs en boutique et peut parfois éviter un vrai agacement côté client.
Des exemples comme ceux-ci, dans un réseau de boutiques, il en existe des dizaines et ce sont avant tout les vendeurs qui ressentent, avant même le client, les manques, les désorganisations ou les procédures parfois trop complexes. Devant le client, ils se trouvent alors gênés, ressentent son agacement ou reçoivent parfois même son courroux. In fine, le client sera pénalisé et toute la volonté de la maison de devenir « Client Centric » sera entièrement réduite à néant…
Enfin, nous pourrions recevoir l’objection que la faute ne revient pas toujours au back-office mais bien à la force de vente qui « ne fait pas correctement son travail ». A cela, je ne peux répondre qu’en partie par l’affirmative. Mais avant de tirer à boulet rouge sur cette population, s’est-on assuré qu’elle avait été correctement formée ? Que son quotidien avait bien été pris en compte ? Que des moyens et outils lui avaient été mis à disposition ? Est-elle en cohérence avec la clientèle qu’elle doit servir ? Si à l’ensemble des questions, la réponse est « oui », alors il faut en effet être de la plus grande rigueur avec la force de vente et veiller à ce que son excellence soit constante dans tous les domaines. Si la réponse est « non », alors la démarche « Advisor Centric » n’est pas complètement aboutie et il sera alors nécessaire de relancer un cycle d’itération afin de corriger les éventuels manquements et continuellement améliorer l’expérience à la fois du vendeur et bien entendu, celle du client.