Rares sont les formes de commerce qui fascinent autant que les grands magasins. Depuis plus de 150 ans, ils attirent les foules, sont un symbole du commerce moderne, apportent la mode et le progrès commercial… Il y a une vingtaine d’années, on pensait les grands magasins à bout de souffle avec l’arrivée du e-commerce mais le relais pris par les clients asiatiques, notamment à Paris, leurs a permis, une nouvelle fois, de sortir glorieux. Cachant la disparition de la clientèle locale par des chiffres d’affaires en perpétuelle croissance, les grands magasins en sont devenus dépendants. Avec la crise, cette clientèle a disparu et il a fallu à nouveau se tourner vers la clientèle locale. Le problème réside dans le fait que celle-ci ne s’y reconnaît plus vraiment car ces lieux sont devenus trop touristiques et souvent l’offre devenait inadaptée ou inaccessible.
Depuis ces derniers mois, certaines enseignes ont fait preuve d’une extrême réactivité et ont mis en place de nouvelles stratégies. Nous assistons véritablement à un changement de paradigme. Le grand magasin passe d’une succession de corners de marque à une succession de mini-concepts thématiques. Et cela change tout ! En tant que retailer, il reprend lui-même la parole auprès du client pour proposer un nouveau point d’attraction distinctif et unique contrairement à un discours de marque dupliqué des dizaines de fois dans d’autres points de vente à travers le monde. Nous avons décidé d’analyser trois enjeux forts pour les grands magasins parisiens afin de les rendre à nouveau attractifs pour la clientèle locale. L’histoire de ces cathédrales du commerce montre que par le passé, ces points de vente ont été capables de surmonter des défis similaires à ceux rencontrés actuellement. Analysons les réponses qu’ils ont apportées pour trouver des solutions aux enjeux du moment.
Être « Z compatible ».
Dans les années 60 – 70, l’émancipation de la jeunesse la fait apparaître comme une nouvelle cible de consommateurs. Ces « jeunes gens », issus de la génération des Baby-Boomers, veulent de la mode, des disques dans un univers de drugstore particulièrement en vogue dans ces années-là. C’est alors que les Galeries Lafayette créent le « Club 20 ans » dans le bâtiment qui deviendra par la suite celui de la mode masculine. C’est la première fois qu’un concept à l’intérieur du grand magasin est pensé pour une clientèle jeune et plus seulement pour les enfants. Dans les années 50, le Printemps avait lancé un club gratuit, « Le Club des Cadets du Printemps », dont le rôle était de proposer des animations et des activités aux adolescents dans le but de les fidéliser lorsque ces derniers deviendront eux-mêmes clients. Aujourd’hui, la question est posée avec la Génération Z qui ne se reconnaît pas dans le modèle du grand magasin. Avec le « Club 20 », les Galeries Lafayette offraient un univers qui parlait directement aux envies des clients de l’époque, quitte à ce qu’une partie du reste de la clientèle ne s’y reconnaisse pas.
Fondamentalement, les clients Z ne sont pas opposés à venir dans les grands magasins mais ils doivent y trouver une forme de valeur ajoutée. Cela va passer par une offre inédite, par une expérience digitalement compatible et par un manifesto clair, singulier, innovant et/ou responsable. Oui pour la seconde main, mais celle-ci est presque déjà devenue trop mainstream. En tant que génération engagée, il est nécessaire de développer des sujets en prise avec leurs préoccupations, leurs combats ou leurs passions. Il faut penser des corners qui casseraient des tabous et tant pis s’ils peuvent parfois heurter les générations plus âgées. Nous pouvons ainsi penser à des corners 100% inclusifs aussi bien dans l’offre avec des marques à l’engagement fort, qu’avec une force de vente qui oserait exprimer toute sa singularité personnelle et créative… Travailler avec des influenceurs est désormais devenu tout à fait courant mais créer un espace de prise de parole marchande et de rencontre avec le public n’a pas encore été lancé. Nous pouvons également penser à des corners mettant en avant les NFT, qui deviennent, notamment dans le luxe, un sujet prenant une vaste ampleur. Le champ des possibles est vaste mais il faut parfois prendre quelques risques pour séduire cette nouvelle cible de clientèle qui, ne l’oublions pas, dispose d’un vrai pouvoir d’achat.
Redevenir un vrai dénicheur de tendances, un curateur de mode.
Avant la deuxième guerre mondiale, les grands magasins parisiens faisaient partie des lanceurs de mode. Leurs catalogues représentaient les tendances de l’année en cours et donnaient les « conseils de la femme élégante » comme le disait si joliment la brochure de l’exposition de nouveautés de l’automne 1920 des Galeries Lafayette afin de choisir « les toilettes de la saison ». On peut penser également au Printemps Haussmann qui, en 1933, crée le Pont d’Argent, une salle de défilés spécialement conçue pour le couturier Paul Poiret. Avec Poiret, le Printemps signe la première collection de prêt-à-porter créée par un couturier pour un grand magasin, qui, à l’époque, faisaient la mode. Force est de constater qu’aujourd’hui, les clients peuvent acheter les pièces tendances en grands magasins mais ceux-ci ne les créent plus… Ils sont distributeurs et non influenceurs. Avec l’omniprésence de l’information, les consommateurs n’ont plus besoin d’attendre quelques brochures annuelles afin de savoir quoi porter.
Les grands magasins ont perdu ce pouvoir au profit, tout d’abord, des marques depuis les années 70/80 puis désormais des influenceurs des réseaux sociaux. En 2021, le top 10 des influenceuses, en France, sur Instagram dépasse le million d’abonnés pour atteindre cinq millions avec Enjoy Phoenix, alors que les comptes des grands magasins n’atteignent que cinq cent mille abonnés, soit 10 fois moins. Qui regarde désormais le compte Instagram d’un grand magasin pour savoir comment s’habiller ? Très peu de personnes malheureusement… Cela est pire sur Tiktok où les comptes des grands magasins ne comptent que quelques centaines d’abonnés – dans la stratégie Z décrite dans le paragraphe précédent, cela devrait également en faire partie. Afin de continuer à être un lieu aspirationnel, les grands magasins doivent reprendre leur rôle de dénicheur de tendances, des prescripteurs de mode et pourquoi pas imaginer de créer des égéries « maison » comme l’on fait les marques de luxe. L’avantage du grand magasin est la profusion de marques présentes. Il est donc assez facile de sélectionner parmi les produits disponibles pour aider le client à se constituer un look. D’aucuns diront que les scénographies merch sont prévues à cet effet, mais combien de clients les regardent réellement pour savoir quoi porter ?
En cette période de rentrée, les clients souhaitent acquérir les nouveaux looks tendances de l’hiver et nombreux sont ceux qui ne sont ni experts mode ni accompagnés d’un conseiller en style. Pourquoi ne pas proposer un univers regroupant « les 20 looks de l’hiver » ? Comme les vitrines de Noël sont un passage obligé en décembre, la présentation des looks de la saison à venir devrait l’être tout autant. Evidemment, la déclinaison digitale est obligatoire. L’important est d’ancrer chez le client ce réflexe qui est d’aller dans ce grand magasin afin de savoir facilement comment s’habiller pour la saison à venir pour être tendance. Il en est de même pour la découverte de nouvelles marques. Il y a encore quelques années, pour se lancer, les marques devaient avoir une présence dans un grand magasin, maintenant elles doivent l’avoir sur Instagram. Pourquoi ? Pour la visibilité qu’offre le réseau, évidemment, mais aussi car les enseignes n’ont pas su forcément valoriser les nouvelles marques, ni prendre suffisamment de risques pour les promouvoir. Ces derniers mois, nous voyons que cette tendance commence à être inversée grâce aux concepts thématiques qui sont mis en place. Il serait bon que le client se rendre à nouveau dans ces points de vente pour y découvrir des « nouveautés » au sens du « magasin de nouveautés » du début du XXe siècle.
Redevenir un lieu d’innovation.
Les grands magasins sont historiquement des lieux d’innovation qu’elle soit technique, sociale ou commerciale. Ainsi, dès le début du XXe siècle, Le Bon Marché instaure un jour de repos hebdomadaire payé et d’autres initiatives sociales comme une caisse de prévoyance. Le Printemps, dès 1874, installe des ascenseurs et les clients venaient alors pour tester cette attraction, jusqu’alors inconnue dans Paris. Il en est de même pour l’électricité qui fut installée en 1883, soit 6 ans avant le réseau urbain. A l’époque, ces innovations ne sont pas seulement décoratives mais ont une vertu commerciale bien réelle comme l’indique cette réclame du Printemps « [l’électricité] » permet de choisir le soir comme à la lumière du jour les étoffes des teintes les plus délicates, cette lumière, contrairement à celle du gaz, ne changeant pas les couleurs ». Avec l’électricité, le magasin peut augmenter ses ventes en fin de journée ! Jules Jaluzot disait qu’une innovation doit permettre soit d’irriguer l’ensemble du magasin, soit d’offrir aux clientes tout le confort possible pour leurs achats, soit de faciliter leur paiement. Dès leur création, les Galeries Lafayette, ont innové par la création d’une marque propre, dès 1900, permettant d’offrir au plus grand nombre « les toilettes les plus en vue à des prix abordables ».
De nombreuses autres innovations commerciales ont été lancées au cours des 160 ans d’histoire comme les soldes, le blanc… A eux trois, ils sont fondamentalement synonymes de progrès commercial. Aujourd’hui, quelles réelles innovations trouvons-nous dans les grands magasins parisiens…? Même si le e-commerce reste un développement stratégique majeur de ces dernières années, les grands magasins, qui ont par essence, la compétence de la gestion du multi-rayons et de la vente à distance, n’en sont aucunement les inventeurs, ni même les vulgarisateurs. Si les grands magasins veulent à nouveau être des précurseurs comme ils l’ont été par le passé, il faut regarder du côté des crypto-monnaies, des NFT, de tout ce monde digital qui fait désormais partie du quotidien des plus jeunes et qui, d’une certaine façon, sera plus répandu demain. Nous avons vu ces derniers mois, fleurir des initiatives sur la mode virtuelle avec DressX ou encore XR Couture qui sont des sites multimarques de digital fashion, où le client peut acheter des pièces de designers afin qu’elles soient intégrées à ses photos destinées aux réseaux sociaux. C’est extrêmement innovant, c’est parfaitement tendance et cela n’utilise aucune matière première textile et va dans le sens de l’histoire. Les grands magasins parisiens, qui ont toute la légitimité en matière de sélection de mode, pourraient parfaitement intégrer ce type de plateforme à leur offre et pourquoi pas lancer un corner physique dédié à ces « nouveautés » comme ce fut le cas à Hong Kong où la marque de mode 100% virtuelle, The Fabricant, a créé à Hong Kong un pop de digital fashion en partenariat avec le multimarque.
Pour retrouver toute leur attractivité et leur désirabilité, connues par le passé, les grands magasins parisiens doivent poursuivre leur mutation engagée et relever des défis ambitieux pour redevenir des lieux innovants et capables de proposer des expériences retail hors du commun à destination des nouvelles générations.